Catrin Finch & Seckou Keita
Quand j'étais petite, mon papa m'a appris à dépasser le simple fait de voir ou d'entendre. Il faut apprendre à regarder et à écouter les choses, pour les appréhender avec toute la raison dont on est capable, aller au-delà des apparences, rejeter les préjugés. L'exemple type est le sacro-saint "A table !" : on peut l'entendre, mais si on l'écoute et qu'on obtempère, c'est mieux.
Cela fait des années que je réfléchis à cette simple différence entre voir et regarder, entre entendre et écouter. Hier soir, au Sunset Jazz Club, il est apparu que la vérité placée dans cette différence pouvait aussi bien se comprendre dans l'autre sens.
L'introduction est un peu atypique, j'en ai bien peur, mais ce n'était pas un concert comme les autres, il s'agissait de la rencontre entre la harpiste galloise Catrin Finch et le koriste -joueur de kora- sénégalais Seckou Keita. Deux légendes des cordes qui se rencontrent, le résultat aurait pu être académique, prenant mais trop lisse, trop parfait. Loin s'en faut.
Image : The Guardian
Mettre des mots sur des notes, c'est possible, les paroles existent précisément pour cette raison. Mettre des mots sur ce que j'ai vécu hier soir -et les autres autour de moi, j'en suis convaincue- c'est presque impossible. C'est essayer d'expliquer comment on peut se prendre autant de sourires dans la tête et en ressortir heureuse comme tout. C'est tenter de parler du souffle qui vient à manquer, sans raison apparente, alors même que la mélodie n'est pas spécialement triste. C'est ce pincement au cœur quand le concert se termine alors qu'il n'est que 23 heures passées, on pourrait tous bien rester là, à rire ensemble et à se balancer sur nos sièges inconfortables. Sauf que même en repartant, il reste encore à serrer la main des musiciens, leur parler, leur dire merci.
Image : NPT Arts & Ents
J'ai parfaitement conscience de ne pas parler du concert en tant que tel, mais tant mieux, vous n'avez qu'à sauter sur l'occasion quand elle se présentera : allez les écouter. Leur CD est magique, mais il n'a rien à voir avec le sourire radieux de Seckou Keita, ou avec les petits murmures enthousiastes de Catrin Finch lorsqu'elle se balance avec sa harpe.
En définitive, entendre devient plus fort que l'écoute. Quand on ferme les yeux et qu'il ne reste que la musique, on a beau être assis, le vertige est là. C'est fort dangereux, tout ça, parce que je suis sûre et certaine de pouvoir tomber amoureuse d'une mélodie aussi facilement qu'on bat le rythme sur une jig irlandaise.